
Les années 1990 ont vu proliférer les publications de développement personnel, toutes fondées sur quelques principes de base. Une formule encore largement utilisée aujourd’hui par nombre de coachs ou figures des réseaux sociaux. Le discours est toujours le même :
« J’étais perdu·e, en souffrance, ma vie était vide, sans direction. Puis, à force de volonté et d’efforts, j’ai tout changé. Aujourd’hui, je vis la vie de mes rêves. Regarde par toi-même. Si je l’ai fait, toi aussi tu peux y arriver. Je vais t’expliquer comment. »
Si cette narration séduit, c’est parce qu’elle mobilise un ressort psychologique fondamental : la comparaison sociale, décrite par Leon Festinger. Ce mécanisme, inhérent au fonctionnement cognitif humain, repose sur le besoin d’évaluer nos capacités, idées, comportements. Quand l’autoévaluation directe n’est pas possible, nous cherchons des repères externes.
La comparaison devient efficace si elle passe par l’identification : plus je me reconnais dans l’autre, plus sa trajectoire m’impacte. Les influenceurs du développement personnel jouent cette carte : « je suis comme toi », « je suis passé par là ». Ensuite, ils se présentent comme ayant atteint un objectif désirable, suscitant ainsi une comparaison ascendante : il me ressemble, il a réussi, donc je peux réussir aussi.
Mais cette stratégie profite d’abord à l’influenceur. Car si l’identification mobilise au départ, elle repose sur un biais majeur : croire que nous avons les mêmes ressources internes ou contextuelles, et que le parcours est réplicable. Cela empêche une évaluation réaliste de soi, limitant notre capacité à construire un projet de changement fondé sur nos propres atouts.
En cela, le développement personnel diverge fondamentalement de la psychothérapie. Là où cette dernière aide à mobiliser des ressources singulières pour construire un chemin personnel, le développement personnel propose souvent une méthode unique, censée convenir à tous.
C’est ici que la comparaison sociale devient délétère. Quand la personne échoue à appliquer les stratégies proposées, elle glisse de la comparaison ascendante à une évaluation négative de soi. Le modèle devient alors un rappel de l’échec, renforçant un sentiment d’impuissance, voire de dévalorisation.
Plutôt que de se laisser piéger par des comparaisons illusoires, mieux vaut renforcer son sentiment d’efficacité personnelle (Bandura), c’est-à-dire la croyance en notre capacité à utiliser nos compétences pour atteindre des objectifs autodéterminés. Cela suppose une connaissance fine de soi et une démarche adaptée à sa propre trajectoire.
À méditer, chaque fois que les réseaux sociaux nous servent le sempiternel: « Moi aussi, j’étais comme toi… »
Illustration : Triple Self-Portrait, Norman Rockwell (1960). Une mise en abyme ironique sur l’image de soi, le modèle et ses représentations.